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Pendergast se remit péniblement debout et fut aussitôt pris de vertige. Ses vêtements, à moitié déchirés, étaient couverts de sang. Il avait perdu connaissance pendant quelques minutes à la suite de son empoignade avec la bête et retrouvait brusquement les souterrains plongés dans le noir. Surmontant son malaise, il sortit de sa poche la lampe LED qui ne le quittait jamais et balaya méthodiquement le sol humide à l’aide de la torche miniature. À défaut de repérer son arme, il découvrit des traces de lutte et distingua clairement les empreintes de D’Agosta, ainsi que celles des pieds nus du monstre.

Il éteignit sa lampe et demeura immobile dans l’obscurité, le temps de rassembler ses pensées. Le zombi restait dangereux tant qu’il serait en vie, ses créateurs lui ayant manifestement inculqué des instincts meurtriers, mais Pendergast avait en D’Agosta une confiance confinant à la foi et il estima que le lieutenant n’était pas homme à se laisser surprendre, fût-ce par un adversaire aussi redoutable. Le danger que courait Nora était bien plus grand : plus que jamais, il devait libérer la jeune femme.

Sa décision prise, Pendergast ralluma sa lampe et examina la pièce où il se trouvait dans ses moindres recoins. Il s’agissait d’une nécropole peuplée de cercueils de bois, sagement alignés sur des socles de pierre, dont les plus anciens vomissaient sur le sol leur contenu macabre. À en juger par le nombre de squelettes découverts depuis qu’il parcourait ces souterrains, Pendergast en conclut qu’ils avaient servi de longue date à entreposer les dépouilles des occupants de la Ville.

Il s’apprêtait à poursuivre ses recherches ailleurs lorsque son attention fut attirée par un tombeau différent des autres à l’entrée de la pièce. Il s’approcha du cercueil et le caressa, pris d’une inspiration.

Contrairement aux autres bières, elle était en plomb. Au lieu de reposer sur un gisant, elle était partiellement enterrée et seul son couvercle affleurait des dalles, mais ce n’était pas le détail le plus curieux. Alors que toutes les autres sépultures étaient intactes, celle-ci était éventrée, son contenu fraîchement pillé.

Pendergast s’intéressa de plus près à l’étrange cercueil. Des siècles durant, les dépouilles des personnages importants avaient été enfermées dans du plomb afin de mieux leur épargner les ravages du temps. En parcourant la tombe de son faisceau, il constata que la double couche de métal qui la recouvrait avait été sauvagement entamée à la hache, jusqu’à laisser dans le couvercle un trou béant. Il s’agissait d’un travail sommaire, exécuté très récemment, à en juger par l’absence d’oxydation sur le plomb mutilé.

Pendergast se pencha au-dessus de la bière. Le corps, momifié grâce à son enveloppe hermétique, avait été grossièrement bousculé et le pillard avait littéralement arraché l’objet qu’il tenait entre ses mains desséchées, désarticulant un bras et brisant plusieurs phalanges dans sa précipitation.

Pendergast glissa la main dans le cercueil afin d’y déceler d’éventuelles traces d’humidité. La profanation était si récente que les vêtements du mort étaient encore parfaitement secs. Le voleur avait accompli son œuvre une demi-heure plus tôt tout au plus.

Il ne pouvait s’agir d’une coïncidence.

Pendergast s’intéressa ensuite au défunt. Le corps, remarquablement préservé, était celui d’un homme âgé à la barbe fleurie et aux longs cheveux blancs. Deux pièces en or lui fermaient les yeux. Le mort était ridé comme une vieille pomme et ses lèvres parcheminées laissaient apparaître deux rangées de dents qui brillaient au milieu d’un visage couleur ivoire. Il était vêtu d’une tenue aussi austère que celle des Quakers : une redingote d’une grande sobriété, une chemise, un gilet brun et un pantalon clair. Le voleur avait taillé en pièces les habits du vieil homme à hauteur du torse, envoyant des boutons dans tous les coins en voulant le fouiller. Sur la poitrine du défunt se dessinait encore en creux la forme d’un coffret rectangulaire qu’on lui avait arraché des mains.

Au pied du cercueil, Pendergast découvrit les restes du coffret en question, son couvercle rongé de pourriture sèche. Il se pencha et l’examina soigneusement, prenant soin de le renifler et d’en relever les dimensions. Un léger parfum de vélin lui confirma ce qu’il pensait : la cassette avait contenu un livre ou des documents.

Pendergast contourna lentement la sépulture et découvrit à sa tête une inscription gravée dans le métal. Difficilement déchiffrable du fait de l’oxydation, il en chassa les traces de poudre blanche d’un revers de manche et lut :

Elijah Esteban

Qui quitta cette vie le 22 novembre 1745

En sa 55e année

La mort impitoyable

Émet un son plaintif et sourd

Ô mortels

Regardez cette terre

Dans laquelle vous aussi

Reposerez Bientôt

Pendergast resta longtemps à contempler le nom du défunt. Brusquement, les pièces du puzzle se mirent en place. Il venait seulement de comprendre, et son visage s’empourpra à l’idée de l’erreur impardonnable qu’il avait commise.

Ce tombeau pillé n’était ni une coïncidence ni un épi-phénomène.

C’était le nœud de l’affaire.

Valse macabre
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